Redomiciliations de propriété intellectuelle : Enjeux fiscaux internationaux et défis techniques
Par
Me Fabrice Michel
2 oct. 2025
•
6 min de lecture
Introduction : contexte des redomiciliations de PI et enjeux fiscaux
La redomiciliation de propriété intellectuelle (PI) constitue aujourd’hui un enjeu majeur pour les groupes internationaux, tant du point de vue de la gestion stratégique des actifs incorporels que de la planification fiscale. Dans un contexte de renforcement de la coopération internationale en matière de fiscalité, les opérations de transfert transfrontalier de PI sont soumises à une surveillance accrue des administrations fiscales, qui cherchent à limiter les pratiques d’optimisation agressive et à garantir une taxation conforme à la création réelle de valeur. La complexité des règles, amplifiée par les recommandations du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) de l’OCDE, impose aux fiscalistes, juristes et experts PI une maîtrise technique rigoureuse des nouveaux standards internationaux.
Transferts transfrontaliers d’actifs incorporels : définitions et enjeux
Les transferts transfrontaliers d’actifs incorporels – brevets, marques, droits d’auteur, savoir-faire, logiciels, etc. – impliquent le déplacement juridique et économique de droits de PI d’une entité d’un groupe à une autre, souvent située dans une juridiction différente. Ces opérations peuvent prendre la forme de ventes, d’apports, de fusions ou de restructurations internes. L’enjeu principal réside dans la détermination d’une juste valeur de marché lors du transfert, afin d’éviter toute érosion de la base imposable. Les risques fiscaux sont exacerbés lorsque les juridictions d’origine et d’accueil appliquent des critères divergents d’évaluation, de reconnaissance ou de documentation, ouvrant la voie à des doubles impositions ou à des litiges transfrontaliers.
Fonctions DEMPE et exigence de Nexus : implications pratiques
Depuis BEPS, la notion de fonctions DEMPE (Développement, Amélioration, Maintenance, Protection, Exploitation) s’est imposée comme clé de voûte de l’analyse des transferts de PI. L’identification précise des entités qui exercent ces fonctions, supportent les risques associés et mobilisent les actifs nécessaires est déterminante pour attribuer le retour économique lié aux actifs incorporels. Parallèlement, l’exigence de Nexus, notamment pour l’accès à certains régimes préférentiels (ex. « IP box »), impose une substance économique réelle dans la juridiction d’accueil de la PI : la simple détention juridique n’est plus suffisante. Les groupes doivent donc documenter de manière détaillée les activités de R&D, la gestion et la valorisation des actifs, ainsi que la répartition des risques et des bénéfices, sous peine de remise en cause des schémas de redomiciliation.
Application des lignes directrices OCDE post-BEPS : points clés
Les lignes directrices OCDE sur les prix de transfert, mises à jour dans le cadre du projet BEPS, encadrent strictement les transferts de PI. Elles imposent une analyse fonctionnelle approfondie, la prise en compte du contrôle effectif des risques, et la documentation du processus décisionnel relatif à la PI. La notion d’alignement entre création de valeur et imposition est centrale ; il s’agit de s’assurer que les profits issus de la PI sont taxés là où les fonctions DEMPE sont effectivement exercées. En pratique, cela se traduit par une exigence accrue de documentation, une attention particulière à la chronologie des opérations et une surveillance renforcée des prix de transfert appliqués aux transactions de PI.
Valorisation des actifs difficiles à évaluer (HTVI) : méthodes et défis
La valorisation des « Hard-To-Value Intangibles » (HTVI) représente l’un des défis majeurs des redomiciliations de PI. Les HTVI se caractérisent par une forte incertitude sur les résultats futurs, un manque de comparables fiables et la difficulté à anticiper l’évolution de leur valeur. L’OCDE recommande une approche prudente, reposant sur des méthodes prospectives (Discounted Cash Flow, options réelles, etc.) et l’utilisation d’informations postérieures au transfert, en cas d’écarts significatifs entre projections initiales et résultats réels. Cette approche permet aux administrations fiscales de réajuster la valeur retenue a posteriori, augmentant le risque de redressement et l’incertitude pour les groupes. Une documentation robuste, la transparence des hypothèses retenues et la justification des choix méthodologiques sont donc indispensables pour limiter le risque fiscal.
Risques d’ajustements bilatéraux et recours aux procédures amiables (MAP)
Les divergences d’interprétation ou de valorisation entre juridictions peuvent conduire à des ajustements bilatéraux, générant des doubles impositions. Pour y remédier, le recours aux procédures amiables (Mutual Agreement Procedures – MAP) prévues par les conventions fiscales s’avère essentiel. Toutefois, ces procédures sont parfois longues, complexes et incertaines dans leur issue, notamment lorsque les enjeux portent sur des actifs incorporels stratégiques et de grande valeur. Il est donc recommandé d’anticiper les risques de litige par une documentation exhaustive et, lorsque cela est possible, de sécuriser les schémas de redomiciliation par des accords préalables en matière de prix de transfert (APAs), bien que ceux-ci ne couvrent pas toujours l’ensemble des problématiques liées aux HTVI.
Conclusion : perspectives et recommandations
La redomiciliation de propriété intellectuelle dans un contexte international exige une approche intégrée, associant expertise juridique, fiscale et économique. La maîtrise des exigences OCDE post-BEPS, l’analyse fine des fonctions DEMPE et de l’exigence de Nexus, ainsi qu’une méthodologie rigoureuse de valorisation des HTVI sont des prérequis pour sécuriser les opérations de transfert. Face à la montée des litiges et à la sophistication des contrôles, il est essentiel de renforcer la documentation, d’anticiper les risques d’ajustements bilatéraux et d’utiliser de manière proactive les instruments de règlement des différends. Enfin, une veille continue sur l’évolution des standards internationaux et des pratiques administratives s’avère indispensable pour adapter les stratégies de redomiciliation de PI et préserver la sécurité juridique et fiscale des groupes.

Me Fabrice Michel
Avocat Fiscaliste


